1. « Entreprise » + escroc = injure publique
Voilà en quelques mots ce qu’inspire la lecture de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 14 décembre 2011, qui condamne la société Google Inc. pour injure publique en raison de suggestions litigieuses offertes par le moteur de recherche. En substance, la cour jugeait que l’association du terme « escroc » à la raison sociale d’une société constitue légalement une injure publique et sanctionnait sévèrement Google Inc. de ce fait (50.000 euro € d/i + publications de la décision sur sa page web + dans un quotidien national + 10.000 € de frais d’avocat).
Pourtant ce résultat est rendu possible par un raisonnement tout à fait classique.
D’abord le droit, et en l’occurrence l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 qui, légalement, définit l’injure :
Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure.
Ensuite, naturellement, le fait accolé à la démonstration juridique, où le raisonnement se déroule en 4 étapes :
- Google suggère au fur et à mesure de la frappe le terme escroc lorsque l’on recherche le nom de l’entreprise ;
- cette expression est outrageante, publique, et ne renferme l’imputation d’aucun fait démontré ou avéré ;
- le dommage est réalisé sur le sol français (peu importe que la société soit basée aux Etats-Unis) ;
- Google Inc. a été mis en demeure de faire cesser cette infraction et n’a rien fait pour faire cesser le dommage, elle la réalisait donc en parfaite connaissance de cause.
La Cour constatait en outre, que Google avait mis en place un mécanisme de filtrage qui lui permettait d’éviter de suggérer des mots clés indélicats, ou illicites (violents, incitant à la haine raciale, etc.). Il n’est donc pas ici question de faculté mais de volonté. Pour le moteur de recherche, difficile alors de faire jouer la magie judiciaire.
2. Les particuliers sont les prochains concernés
Au-delà de l’injure et du droit de la presse, il faut maintenant s’attendre à ce que la question soit portée sur le terrain de la protection des données personnelles. Google suggest opère en effet un traitement de données personnelles, dès lors qu’une suggestion est associée au nom d’une personne physique. S’ensuit donc l’application de la loi informatique et liberté du 6 janvier 1978, et en particulier de l’article 6 qui pose deux principes essentiels :
**1° **Les données sont collectées et traitées de manière loyale et licite ;
3° Elles sont adéquates, pertinentes et non excessives (…) ;
Dès lors l’ensemble des termes non seulement injurieux (donc illicites), mais plus largement déloyaux, inadéquats, non pertinents ou simplement excessifs, accolés aux noms et prénoms des personnes, seront susceptibles de générer des litiges et du contentieux.
Le choix des mots clés à filtrer va donc se révéler plus complexe à définir qu’une simple liste de termes injurieux et outrageants.
Confrontés à une telle problématique les particuliers pourront évidemment saisir la CNIL.
3. Le mécanisme en cause : le crowdsourcing
Resservir aux utilisateurs leurs propres requêtes est sans discussion un excellent vecteur d’appropriation de la connaissance, à condition cependant d’élaborer l’intelligence informatique qui permet d’aseptiser le service et en évacuer les risques juridiques. Si l’on a beaucoup vanté la grandeur et le mérite du crowdsourcing, on en découvre aujourd’hui parcimonieusement les limites et les risques. Google, en bon pionnier essuie ici les pots cassés !
Encore qu’une partie des suggestions dépendent certainement du contexte dans lequel les informations sont employées. Accoler des termes potentiellement injurieux à côté d’un nom ne devrait pas systématiquement se traduire par une injure publique, du moins juridiquement. On peut pour l’illustrer prendre une actualité récente qui montre toute la complexité du problème technique que devront résoudre les ingénieurs de Google pour distinguer les termes réellement injurieux de ceux qui ne peuvent révéler qu’une simple information.
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