Si l’on remonte à son origine, en réalité l’idée même de ce droit vient d’une affaire judiciaire passionnelle dans laquelle la maitresse de l’un des grands criminels des années 20 (qui a fini guillotiné) avait intenté un procès pour demander la réparation des dommages causés par un film relatant son ancienne liaison. Alors, on ne guillotine guère plus aujourd’hui que métaphoriquement, mais à l’heure de l’Internet les passions restent immuables et permanentes, d’où la nécessité parfois du recours à la loi.
Ainsi, d’un point de vue juridique, le droit à l’oubli est consacré au sein de la loi informatique et libertés (article 6). Concrètement, celui-ci impose qu’un traitement de données personnelles soit limité à un certain laps de temps ; l’idée est que l’on ne peut traiter des données personnelles que pendant une certaine durée. Au terme de celle-ci leur destinée est l’anéantissement, l’oubli, tout simplement.
Mais ce n’est pas le sens des recours juridiques qui peuvent être intentés lorsqu’une personne diffuse des informations dénigrantes, diffamantes, ou plus généralement inappropriées. Les recours légaux, pour faire valoir l’effacement ou le droit à l’oubli pris dans un sens global, sont alors d’une grande diversité. En quelques mots voici le mode d’emploi pour faire valoir ses droits, personnes physiques, autant que personnes morales.
1) Le droit à l’oubli à l’usage des personnes physiques
Les choses sont relativement simplifiées pour les personnes physiques, du moins tant que l’on reste sur le sol français. Si l’on met de côté des fondements juridiques comme la diffamation ou l’injure publique qui sont relativement complexes à mettre en œuvre (il existe de très nombreuses règles procédurales en droit de la presse), la loi informatique et libertés offre un recours assez simple et efficace contre des indélicatesses commises en ligne. Celle-ci offre en effet un droit d’opposition, pour motifs légitimes, à ce que les données personnelles soient traitées. Ainsi, toute personne peut demander à ce que soient retirées des pages d’un site Internet dénigrantes ou inappropriées à son égard. L’article 38 de la loi est très clair à ce sujet :
” Toute personne physique a le droit de s’opposer, pour des motifs légitimes, à ce que des données à caractère personnel la concernant fassent l’objet d’un traitement.
Cela suppose toutefois qu’il y ait un véritable motif légitime derrière la demande d’exercice du droit d’opposition. Celui-ci s’apprécie largement en jurisprudence et il faut dire que le risque de cette appréciation repose majoritairement sur le responsable du traitement, car celui-ci peut voir sa responsabilité pénale engagée (5 ans d’emprisonnement et 300.000 euros d’amende, article 226-18-1 du Code pénal s’il ne supprime pas les informations litigieuses à tort).
En pratique, une lettre RAR envoyée à l’éditeur d’un site Internet demandant le retrait des informations litigieuses solutionne en général le problème assez rapidement.
En pratique pour les particuliers une lettre RAR solutionne en général le problème assez rapidement
Pour les personnes physiques, toutefois, deux problèmes se posent. Le premier est qu’il faut d’abord être au fait de ses droits ; impossible de les faire valoir si l’on n’est pas conscient de leur existence ! Il y a clairement une problématique ici de sensibilisation. Le second ensuite, en cas de non réponse, tient aux ressources nécessaires pour faire cesser le dommage. Il est vrai que de nombreux webmasters donnent des suites rapidement à ce type d’injonctions dès lors qu’un conseil juridique est impliqué, mais cela suppose tout de même le recours à un conseil, et donc des frais que les personnes physiques ne sont pas systématiquement en mesure d’engager.
2) Le droit à l’oubli à l’usage des personnes morales
Pour les personnes morales, l’équation est différente. En effet, la loi informatique et libertés ne peut pas être invoquée. Si un dirigeant est dénigré, par exemple, il pourra invoquer la loi informatique et libertés, mais il devra le faire en qualité de personne physique et non en qualité de gérant. Ceci étant, il existe une diversité de fondements juridiques qui peuvent servir pour lutter contre des indélicatesses.
Le premier, et sans-doute le plus connu, tient à la diffamation et l’injure publique, qui sont des fondements tirés du droit de la presse, la loi du 29 juillet 1881. Google a par exemple fait les frais de ces textes en adossant au nom d’une entreprise le terme « escroc » via Google Suggest (ce qui lui a valu 50.000 € de dommages et intérêts). Ces dispositions ont pour objet de sanctionner les abus de la liberté d’expression. Tout un chacun est en droit de se livrer à la critique, mais à la condition que celle-ci reste dans les limites de la loi ; au-delà, les propos sont soumis à sanction.
Un second fondement fréquemment utilisé est le dénigrement commercial. Le dénigrement consiste à jeter le discrédit sur un concurrent, en répandant à son propos, ou au sujet de ses produits ou services, des informations malveillantes.
La jurisprudence est particulièrement sévère dans l’appréciation des critiques de produits ou de services faites entre concurrents
La jurisprudence est particulièrement sévère dans l’appréciation des critiques de produits ou de services faites entre concurrents. Celle-ci est évidemment possible mais à des conditions très restrictives : qu’elle soit faite de bonne foi, avec prudence et objectivité et qu’elle ne contienne pas d’erreur. Chacune de ces conditions devant évidemment être respectée. Pour donner un exemple, le Tribunal de commerce de Paris condamnait une entreprise le 15 avril 2009 en cela qu’elle avait qualifié les produits de ses concurrents de « sulfureux » à plusieurs reprises :
Attendu qu’en employant les termes « sulfureux » elle a jeté publiquement le discrédit sur cet évènement
Autant dire que la mesure est de mise ! L’entreprise victime de dénigrement pourra alors demander la réparation de son préjudice, qui consiste dans l’atteinte à sa réputation, par l’allocation de dommages et intérêts. Elle pourra également obtenir d’autres accessoires comme la publication du jugement sur le site Internet de l’auteur du dénigrement ainsi que le remboursement de ses frais de justice.
Le principe à retenir est qu’en matière commerciale, il convient d’être extrêmement prudent avant de formuler une quelconque critique publique à l’égard de ses concurrents, sauf à prendre le risque de faire les frais de plusieurs milliers ou dizaines de milliers d’euros de dommages et intérêts.
Conclusion
Il y a indéniablement en droit des outils permettant de faire tomber dans l’oubli le fruit des multiples dépassements que les passions favorisent. Evidemment, dès lors que l’action dépasse les frontières françaises, les choses alors se compliquent pour le moins. On bénéficierait assurément de simplifications des procédures internationales dans ce domaine.
On parle volontiers aujourd’hui d’e-réputation, qui est un enjeu de plus en plus important sur les réseaux informatiques. De très nombreuses sociétés de référencement officient au quotidien pour rectifier les effets négatifs de réputations mal bâties. Il faut également se rappeler qu’un brin de vigilance est aussi utile en particulier pour le traitement de données sensibles. Une étude récente a démontré que de très nombreuses entreprises laissent en accès libre leurs informations sur le cloud (chiffrer n’est clairement pas un luxe inutile).
La science juridique a sans doute des solutions opérationnelles, mais la prudence est sans doute encore la meilleure arme en la matière.