Le trafic d’influence est un délit prévu et réprimé par le Code pénal français. Il consiste, pour une personne, à recevoir ou solliciter des dons, présents ou avantages quelconques afin d’abuser de son influence, réelle ou supposée, sur un tiers pour qu’il prenne une décision favorable.
Les trois acteurs du trafic d’influence
Le trafic d’influence implique nécessairement trois personnes :
- Le bénéficiaire : celui qui fournit les avantages ou les dons
- L’intermédiaire : celui qui use de son influence du fait de sa position
- La personne cible : celle qui détient le pouvoir de décision (autorité publique, magistrat, expert…)
On distingue deux formes de trafic d’influence selon le statut de l’intermédiaire :
- Le trafic d’influence commis par des personnes exerçant une fonction publique (art. 432-11 du Code pénal)
- Le trafic d’influence commis par des personnes privées (art. 433-2 du Code pénal)
Exemples de trafic d’influence
Voici quelques exemples concrets de situations pouvant caractériser un trafic d’influence :
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Un expert de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) accepte une somme d’argent d’un laboratoire pharmaceutique pour user de son influence auprès d’un évaluateur afin d’obtenir une décision favorable à cette entreprise (trafic d’influence passif).
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Une société verse des fonds à un agent public pour qu’il use de son influence sur une commission d’appel d’offres dans le but d’attribuer un marché à cette entreprise (trafic d’influence actif).
Le trafic d’influence peut concerner de nombreux domaines : attribution de marchés publics, obtention de décorations, de subventions, de permis de construire, intervention dans des procédures judiciaires, etc. Il constitue une atteinte grave à la probité et à l’impartialité des décisions publiques.
Trafic d’influence actif vs passif
Le droit pénal différencie également :
- Le trafic d’influence actif : du côté du bénéficiaire qui rémunère l’intermédiaire
- Le trafic d’influence passif : du côté de l’intermédiaire qui se laisse acheter
Cette distinction permet de réprimer à la fois celui qui fournit les avantages et celui qui en bénéficie en abusant de son influence.
Le trafic d’influence passif est visé par l’article 432-11 du Code pénal. Il concerne les personnes dépositaires de l’autorité publique, chargées d’une mission de service public ou investies d’un mandat électif public qui sollicitent ou agréent des avantages pour accomplir ou s’abstenir d’accomplir un acte de leur fonction, ou pour abuser de leur influence.
Le trafic d’influence actif est réprimé par l’article 433-1 du Code pénal. Il vise le fait, pour quiconque, de proposer sans droit des avantages à une personne dépositaire de l’autorité publique pour qu’elle accomplisse ou s’abstienne d’accomplir un acte de sa fonction ou pour qu’elle abuse de son influence.
Le trafic d’influence peut également être commis par des particuliers à l’égard de personnes n’exerçant pas une fonction publique, par exemple un salarié qui userait de son influence auprès de son employeur. Ces faits sont punis par l’article 433-2 du Code pénal.
Distinction avec d’autres délits
Le trafic d’influence se distingue de délits proches mais présentant des différences notables :
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L’escroquerie (art. 313-1 du CP) : elle consiste en un ensemble de manœuvres frauduleuses destinées à tromper une personne pour obtenir un bien ou un service. Le trafic d’influence est plus subtil car il repose sur l’utilisation d’une influence pour obtenir une décision favorable.
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La corruption : elle implique une interaction entre deux personnes, le corrupteur et le corrompu, sans intervention d’un intermédiaire comme dans le trafic d’influence. La corruption est un détournement d’un processus là où le trafic d’influence se présente comme un montage à trois intervenants.
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Le favoritisme (art 432-14 du CP) : il s’agit, pour un agent public, d’octroyer un avantage injustifié à autrui en méconnaissant les règles garantissant la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public. Le trafic d’influence peut conduire à du favoritisme mais les deux délits sont distincts.
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La prise illégale d’intérêts (art 432-12 du CP) : elle consiste, pour une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, à prendre, recevoir ou conserver un intérêt quelconque dans une entreprise dont elle a la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement. Là encore, trafic d’influence et prise illégale d’intérêts sont souvent liés mais restent deux infractions autonomes.
Extension du délit de trafic d’influence
Le champ d’application du trafic d’influence a été progressivement étendu par le législateur français sous l’influence d’engagements internationaux.
Ainsi, la loi du 13 novembre 2007 a créé le délit de trafic d’influence commis par un particulier (art 433-2 du CP) ainsi que le trafic d’influence impliquant des agents publics étrangers ou des organisations internationales publiques (art 435-2 et 435-4 du CP).
La loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite “Sapin II”, a encore renforcé la répression du trafic d’influence en prévoyant :
- L’extension du délit aux personnes investies d’un mandat de député européen.
- L’aggravation des peines encourues en cas de commission des faits en bande organisée.
- La possibilité de recourir à la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) permettant à une personne morale mise en cause pour trafic d’influence de négocier une amende sans aller en procès en échange de la mise en place de mesures de prévention.
Ces évolutions témoignent de la prise de conscience croissante de la gravité du trafic d’influence et de la nécessité d’adapter la loi pour mieux le réprimer tant en France qu’à l’international.
Éléments constitutifs du délit
Deux éléments sont à prendre en compte pour caractériser le délit de trafic d’influence :
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L’élément matériel : il consiste en la sollicitation ou l’agrément portant sur des dons, cadeaux, avantages de toute nature de la part de l’intermédiaire, que ce soit pour lui ou pour autrui, et peu importe que son influence soit réelle ou supposée. La sollicitation peut provenir de l’auteur lui-même ou d’un tiers.
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L’élément moral : il réside dans l’intention de l’intermédiaire de violer délibérément les règles déontologiques de sa profession. Pour le bénéficiaire, il s’agit de la conscience d’agir en dehors de ses droits pour obtenir une décision favorable indue.
La jurisprudence a précisé que toutes difficultés liées à l’exécution d’un contrat peuvent constituer une décision favorable au sens des articles 432-11 et 433-1 du Code pénal sur le trafic d’influence.
Il n’est pas nécessaire que l’influence ait été effectivement exercée, ni que la décision favorable ait été obtenue pour que le délit soit constitué. La simple sollicitation ou le simple agrément suffit, ce qui marque la volonté du législateur de réprimer le trafic d’influence de manière préventive.
De même, peu importe que les avantages aient été effectivement perçus par l’intermédiaire, la promesse suffit à caractériser l’infraction. Les avantages peuvent être de toute nature : argent, biens matériels, services, informations, emplois, distinctions honorifiques, etc.
Peines encourues
Les peines prévues en cas de trafic d’influence sont particulièrement sévères :
Le trafic d’influence passif (art 432-11 du CP) est puni de :
- 10 ans d’emprisonnement
- 1 million d’euros d’amende (jusqu’à 2 millions si atteinte au budget de l’UE ou si commission en bande organisée)
Le trafic d’influence actif (art 433-1 du CP) est puni des mêmes peines.
Le trafic d’influence envers un agent public étranger est puni de 5 ans d’emprisonnement et 500 000 euros d’amende.
Des peines complémentaires peuvent également être prononcées : interdiction des droits civiques, interdiction d’exercer une fonction publique ou l’activité professionnelle dans l’exercice de laquelle l’infraction a été commise, confiscation des sommes ou objets illicites, affichage ou diffusion de la décision…
Les personnes morales déclarées responsables pénalement de trafic d’influence encourent une amende quintuplée et des peines spécifiques prévues par l’article 433-25 du Code pénal (dissolution, interdiction d’activité, placement sous surveillance judiciaire, fermeture d’établissements, exclusion des marchés publics, etc.).
En conclusion, le trafic d’influence est un délit occulte et complexe, qui porte gravement atteinte à la probité de la vie publique et économique. Malgré un cadre de répression renforcé, il reste difficile à détecter et à poursuivre en raison de son caractère dissimulé et de la qualité des personnes souvent impliquées.